Ecologie sociale : racines et floraisons

Par Le 26/04/2020 0

Quoi de plus important pour débuter le blog de l’IDEAl que de commencer par présenter le projet politique que nous cherchons à promouvoir : l’écologie sociale.

Celle-ci tire son origine des travaux et propositions de Murray Bookchin, libertaire américain, depuis les années 50 et jusqu’à sa mort en 2006. Comme tout écologisme, il s’agit d’un projet politique visant à permettre une vie humaine qui ne détruise pas la nature et la vie qui nous entoure, cependant, elle se démarque par sa démarche analytique radicale et constructiviste. En effet, Bookchin propose une origine sociale de la destruction de la nature, la domination de celle-ci étant analysée comme l’extension au monde de la logique de domination instituée dans les sociétés humainesi. Ainsi, pour résoudre les problèmes écologiques de nos relations à la nature, il nous faut simultanément résoudre les problèmes sociaux de nos relations entre humains. La protection et la conservation du monde vivant ne pourra pas se réaliser sans l’émancipation des humains.

A partir de ce constat, Bookchin s’appuie sur son bagage militant - d’abord marxiste-léniniste, trotskiste puis anarchiste - pour proposer une analyse synthétique du capitalisme et de ses structures de dominations dans le but de déterminer précisément quel est l’ennemi à abattre. Il insiste notamment sur l’intrication fondamentale entre Capitalisme et État et la nécessité d’en finir parallèlement avec l’un comme l’autre si l’on veut s’émanciper de la société de domination. Impossible en effet d’en finir avec le capitalisme tout en gardant l’état car ce dernier a besoin du premier pour fonctionner, pour financer son fonctionnement et sa bureaucratie à partir de l’exploitation du travail des producteurs et productrices. Inversement, le capitalisme a besoin de l’État pour organiser le développement et la perdurance des marchés ainsi que le maintien de l’ordre et la défense de la propriété lucrative. Pour en finir avec la société de dominations, il nous est donc nécessaire de changer d’organisation sociale, de structure politique. Pour sortir du capitalisme et de l’État, Murray Bookchin propose de réaliser une transformation totale de la société sur de nouvelles bases éthiques et politiques.

 

Un naturalisme éthique et unificateur

L’écologie sociale de Bookchin envisage tout d’abord l’union, et non la séparation, de l’humain et de la nature sous la conception de nature première et nature seconde. C’est-à-dire l’idée selon laquelle humain et nature forment une unité (la nature première, « naturelle ») au sein de laquelle l’humanité peut et doit trouver son propre chemin à partir de sa particularité consciente (la nature seconde, « culturelle »)ii. Soit comme le disait Elisée Reclus « l’humanité c’est la nature prenant conscience d’elle-même »iii. De cette idée découle le principe fondamental d’interdépendance et d’unité dans la diversité. Concernant aussi bien la nature première : l’unité des diverses formes de vie et d’existence au sein de la nature, que la nature seconde : l’unité des diverses formes d’humains au sein de la « culture ». La diversité, dans ses multiples formes, est défendue en particulier pour son apport innovateur et créateur permettant la stabilité – la résilience – de la nature et de la société en lui donnant une meilleure capacité de résolution des problèmes. Chacune des formes étant dépendante de l’existence des autres et des relations qui les lient ensemble au sein de la nature.

Le développement et l’orientation de la société, cette nature seconde cherchant son propre chemin au sein de la nature première doit s’effectuer sur la base d’un naturalisme dialectique. Celui-ci consiste en une démarche éthique basée sur la nature, « fondement de l’éthique sans être éthique en soi »iv et partant de ce qui devrait être – l’idéal éthique – comme base de ce qui est – la meilleure société possible dans les conditions matérielles (naturelles) présentes. En somme, si la perfection n’existe pas, il est possible de trouver dans la nature une source d’inspiration à partir de laquelle s’imaginer cet avenir parfait, inatteignable mais servant de base à la construction de la société.

 

Une société du collectif commun

A partir de cette démarche éthique et de son analyse des dominations, l’écologie sociale cherche à redonner à l’être humain, en chaque individu, la capacité de se réaliser lui-même en fonction de ses envies et préférences, en lien avec les autres humains et la nature. Cet objectif implique alors le développement d’une économie de type communiste correspondant à l’aphorisme de Louis Blanc : « De chacun selon ses facultés à chacun selon ses besoins »v. La production devant servir l’existence de l’humanité et non l’inverse. Celle-ci constitue avant tout un outil de satisfaction des besoins essentiels et sa réalisation est l’affaire de toutes et tous. Le travail de production est ainsi réparti entre tout le monde en fonction des capacités de chacun et chacune. Cela implique une forte réduction du temps de travail permettant aux personnes de s’adonner davantage à des activités créatives et sociales selon leurs envies. Afin de permettre d’accroître encore le temps libre des gens, l’écologie sociale promeut le développement d’une technologie libératrice à partir de la réappropriation commune et individuelle des sciences et des techniques permettant de les remettre au service de l’humanité et de la nature.

Comme on peut le voir, la nouvelle société proposée par Bookchin, implique une réappropriation collective de la capacité de décision des personnes sur l’organisation de leur vie. Cette réappropriation de la politique, le municipalisme libertaire ou communalisme, s’effectue à travers un système de décision directe, à l’échelle des communes ou des quartiers dans lesquels chaque personne participe à la décision au sein d’assemblées générales. Ces communes forment alors des confédérations leur permettant de répondre à des problématiques quelles ne peuvent résoudre seules (ressources « rares » ou mal réparties, infrastructures coûteuses, etc.). Les représentants des différentes communes au sein des confédérations sont soumis à des mandats impératifs et une révocabilité permanente pour garantir la souveraineté de l’assemblée communale sur les décisions prises dans l’assemblée confédérale.

 

Une stratégie de long terme

Enfin, pour parvenir à cette révolution écologiste sociale, Bookchin propose une méthode d’action que l’on peut rapprocher du gradualisme d’Errico Malatesta, constituant à agir ici et maintenant pour aller vers la société idéale par cumul progressif d’avancées conquises à travers les luttes avec l’aide et en s’associant à d’autres forces qui n’ont pas nécessairement les mêmes idéaux. La stratégie écologiste sociale - que j’ai proposé d’appeler « transversion » dans un précédent article – diffère cependant du gradualisme d’une part parce qu’elle prend acte de la non éminence d’une révolution, et d’autre part parce qu’elle ne propose pas de possible réformes réalisables dans le système. Il va sans dire qu’elle soutient ce genre de réformes qui peuvent améliorer la vie des opprimæs, mais son objet est autre : se construire en parallèle du système et en travers de sa route, petit à petit, pour être prêt à prendre sa place lorsque arrivera sa chute.

 

Aujourd’hui, l’écologie sociale est en pleine expansion autour du monde, sous diverses formes plus où moins fidèles, et trouve un écho particulier en France au sein du mouvement des Gilets Jaunes. Pour continuer à la faire vivre et à lui donner des objectifs à la mesure de ses ambitions d’émancipation et d’harmonie, pour nous permettre d’aller vers un avenir désirable, il nous faut donc en faire la critique. Questionner ses certitudes, analyser ses angles morts, proposer de nouvelles approches à la lumière des nouvelles pensées et situations que ce nouveau siècle porte avec lui.

Parmi toutes les militantes et militants qui permettent cette évolution permanente, je citerai ici Floréal Romero et Vincent Gerber dont j’ai pu voir les intéressantes propositions, notamment à travers (respectivement) son dernier livrevi, et un article sur la gestion collective des technologiesvii.

De mon côté, je chercherai dans un premier temps à faire la critique de la représentation naturaliste sur laquelle repose actuellement l’écologie sociale. Celle-ci devant à mon avis être dépassée parce qu’elle est proprement moderne et occidentale et ne peut donc pas adresser un avenir aux humains, et parce qu’elle avalise encore bien trop à mon goût un dualisme séparant humains et non-humains. Trahissant par là son principe « d’unité dans la diversité » car bien que très pousséeviii, la conception de Bookchin ne parvient pas à se libérer totalement de cette idée d’une nature rassemblant tous les non-humains au sein d’une même entité miroir d’une entité humaine.

 

Zannazook

 

iM. Bookchin. (1982). Qu’est-ce que l’écologie sociale ? Atelier de création libertaire. Lyon : septembre 2012 (quatrième édition).

iiM. Bookchin. (1982). The Ecology of freedom. Cheshire Books. Palo Alto : 1982.

iiiE. Reclus. (1905). L’Homme et la Terre. Tome I.

ivM. Bookchin. (1982). The Ecology of freedom.

vL. Blanc. (1839). Organisation du travail.

viF. Romero. (2019). Agir ici et maintenant. Editions du commun. : octobre 2019.

viiV.Gerber. (2019). « Faire de la technique un enjeu politique ». Socialter (Hors série n°6) L’avenir sera low-tech. : mai 2019.

viiiIl conteste notamment l’idée d’une nature objective pour la doter d’une forme de subjectivité créatrice, tant parmi les vivants que les non vivants.

 

Ecologie sociale Liam Gonzalez

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